Ici Mehdi Dallali s'intéresse aux liens entre sport, pouvoirs public et argent. Quelles ont-été leurs relations à la fin du XXe siècle et au début du XXIe siècle? quel modèle nous a-t-il été offert par le sport professionnel? et est-il à rejeter ou à conserver, face à une société que l'auteur choisi de présenter comme "malade du sport"?
Le sportif, le flic et l’argent
La détermination des juges dans la lutte contre la corruption, sans
doute le fait politique majeur de ces dernières années, est le revers de
l’incapacité de l’État administratif à imposer ses valeurs et son arbitrage[1].
Le vote, en 2006, par le
parlement britannique du « London Olympic Games Act » a assuré le
transfert d’une partie des pouvoirs régaliens du Royaume-Uni au Comité
International Olympique (CIO). Celui-ci, ainsi que le comité organisateur, ont
disposé d’agents de la force publique chargés de faire respecter la propriété
intellectuelle de la marque « olympique ». À leur actif, entre
autres, la fermeture d’un « Olympic Kebab», l’interdiction de porter
des T-shirts « Pepsi », Coca-Cola commanditant les épreuves, et le
retrait des vidéos de campagne de Barack Obama et Mitt Romney mentionnant les
Jeux Olympiques de Londres[2].
Cette délégation des pouvoirs de
l’État aux instances sportives, par le biais de la propriété intellectuelle,
pose immanquablement la question de sa pertinence. Pourquoi donner un blanc-seing
à un CIO éclaboussé de manière récurrente par la corruption? Face à un monde
sportif qui ne semble pas réussir à éliminer le dopage, qui s’organise même pour
le minimiser ou le dissimuler, comme l’illustre les irrégularités des contrôles
menées sur Lance Armstrong ; le retrait de l’État est-il là aussi à
remettre en cause ?
Ne sommes-nous pas ainsi
confrontés à une société, voire une civilisation, malade du sport ?
L’exemple des J.O d’Athènes en 2004 illustre ce détournement de l’intérêt
public. Ces olympiades ont en effet coûté neuf milliards d’euros au pays pour
construire vingt-deux installations, dont vingt sont actuellement abandonnées
faute de moyens[3].
Tout en faisant progresser la dette grecque, les travaux ont fait fuir les
touristes, importante source de revenus du pays. Que reste-t-il donc sinon la
gloire ? Or, tirer un prestige de l’organisation de J.O, comme du retour
d’une équipe de hockey dans une ville, illustre le seul intérêt électoraliste
d’un État malade.
Cette aliénation tient dans le
dernier refuge du sacré que serait devenu le sport. Ce dernier est ainsi devenu une « contre-société »
idéale, inspirant une mythologie où n’aurait place qu’un idéal démocratique et
pur face à l’effort sportif[4].
C’est bien la justice pourtant, et non les instances sportives, qui en 1998 a
révélé les pratiques de dopage au sein du milieu cycliste. Ces révélations ont
montré l’ampleur d’un phénomène touchant tant les milieux professionnels, que
les milieux amateurs, sans pressions financières. La logique sportive
d’amélioration de la performance à tous prix, brouille naturellement la
frontière entre triche et entraînement scientifique. C’est ce véritable
problème de santé publique, trahison structurelle d’idéaux sportifs
contradictoires, qui impose, non pas un désengagement de l’État et une
utilisation de la justice pour les intérêts des instances sportives, mais un
vrai renversement de la logique appliquée au sport dans nos sociétés.
Un sport au service de la
société, présentant tant une occasion d’épanouissement du sportif que de
spectacle appelle un retrait des fonds privés, des sponsors dans le sport. La fin du sport professionnel implique une
réduction des investissements publics dans un gigantisme servant les intérêts
privés et un nationalisme de bas étage. C’est aussi moins d’argent dépensés
dans la course aux produits dopants et « masquants ».
Oui également à un encadrement
médico-légale des pratiques sportives, face à un milieu sportif incapable de
cette rigueur. Il faut donc l’affaiblir et l’encadrer, ne plus permettre qu’il
soit un « milieu » à part dans nos sociétés, pour le sauver de
lui–même et éviter qu’il ne les affaiblisse.
[1]
SALAS, D., « La République
saisie par le justice », Le Monde, 18
septembre 1998, dans VIGARELLO, G., « Le sport dopé », Esprit, Janvier 1999, p.92.
[4]
VIGARELLO, G., « Le sport
dopé », Esprit, Janvier 1999,
p.83.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire