Café-Jasette

jeudi 11 octobre 2012

Le sportif, le flic et l’argent

Café-Jasette présente aujourd'hui un nouveau dossier d'Espace Public, consacré cette fois-ci au sport.

Ici Mehdi Dallali s'intéresse aux liens entre sport, pouvoirs public et argent. Quelles ont-été leurs relations à la fin du XXe siècle et au début du XXIe siècle? quel modèle nous a-t-il été offert par le sport professionnel? et est-il à rejeter ou à conserver, face à une société que l'auteur choisi de présenter comme "malade du sport"?



Le sportif, le flic et l’argent


La détermination des juges dans la lutte contre la corruption, sans doute le fait politique majeur de ces dernières années, est le revers de l’incapacité de l’État administratif à imposer ses valeurs et son arbitrage[1].

Le vote, en 2006, par le parlement britannique du « London Olympic Games Act » a assuré le transfert d’une partie des pouvoirs régaliens du Royaume-Uni au Comité International Olympique (CIO). Celui-ci, ainsi que le comité organisateur, ont disposé d’agents de la force publique chargés de faire respecter la propriété intellectuelle de la marque « olympique ». À leur actif, entre autres, la fermeture d’un « Olympic  Kebab», l’interdiction de porter des T-shirts « Pepsi », Coca-Cola commanditant les épreuves, et le retrait des vidéos de campagne de Barack Obama et Mitt Romney mentionnant les Jeux Olympiques de Londres[2].

Cette délégation des pouvoirs de l’État aux instances sportives, par le biais de la propriété intellectuelle, pose immanquablement la question de sa pertinence. Pourquoi donner un blanc-seing à un CIO éclaboussé de manière récurrente par la corruption? Face à un monde sportif qui ne semble pas réussir à éliminer le dopage, qui s’organise même pour le minimiser ou le dissimuler, comme l’illustre les irrégularités des contrôles menées sur Lance Armstrong ; le retrait de l’État est-il là aussi à remettre en cause ?

Ne sommes-nous pas ainsi confrontés à une société, voire une civilisation, malade du sport ? L’exemple des J.O d’Athènes en 2004 illustre ce détournement de l’intérêt public. Ces olympiades ont en effet coûté neuf milliards d’euros au pays pour construire vingt-deux installations, dont vingt sont actuellement abandonnées faute de moyens[3]. Tout en faisant progresser la dette grecque, les travaux ont fait fuir les touristes, importante source de revenus du pays. Que reste-t-il donc sinon la gloire ? Or, tirer un prestige de l’organisation de J.O, comme du retour d’une équipe de hockey dans une ville, illustre le seul intérêt électoraliste d’un État malade.

Cette aliénation tient dans le dernier refuge du sacré que serait devenu le sport. Ce  dernier est ainsi devenu une « contre-société » idéale, inspirant une mythologie où n’aurait place qu’un idéal démocratique et pur face à l’effort sportif[4]. C’est bien la justice pourtant, et non les instances sportives, qui en 1998 a révélé les pratiques de dopage au sein du milieu cycliste. Ces révélations ont montré l’ampleur d’un phénomène touchant tant les milieux professionnels, que les milieux amateurs, sans pressions financières. La logique sportive d’amélioration de la performance à tous prix, brouille naturellement la frontière entre triche et entraînement scientifique. C’est ce véritable problème de santé publique, trahison structurelle d’idéaux sportifs contradictoires, qui impose, non pas un désengagement de l’État et une utilisation de la justice pour les intérêts des instances sportives, mais un vrai renversement de la logique appliquée au sport dans nos sociétés.

Un sport au service de la société, présentant tant une occasion d’épanouissement du sportif que de spectacle appelle un retrait des fonds privés, des sponsors dans le sport. La fin du sport professionnel implique une réduction des investissements publics dans un gigantisme servant les intérêts privés et un nationalisme de bas étage. C’est aussi moins d’argent dépensés dans la course aux produits dopants et « masquants ».

Oui également à un encadrement médico-légale des pratiques sportives, face à un milieu sportif incapable de cette rigueur. Il faut donc l’affaiblir et l’encadrer, ne plus permettre qu’il soit un « milieu » à part dans nos sociétés, pour le sauver de lui–même et éviter qu’il ne les affaiblisse.



[1] SALAS, D., « La République saisie par le justice », Le Monde, 18 septembre 1998, dans VIGARELLO, G., « Le sport dopé », Esprit, Janvier 1999, p.92.
[4] VIGARELLO, G., « Le sport dopé », Esprit, Janvier 1999, p.83.




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