Nous vous proposons aujourd'hui un texte de Fabien Torres sur la notion du vote stratégique. Peut-on ainsi échapper à ce calcul dans le système électoral québécois?
Le cynisme d’un vote stratégique
Là
où il n’y a pas égalité de représentation, on peut poser hardiment en fait
qu’il n’y a pas de démocratie. L’essence de la démocratie, c’est l’égalité; et
partout où les minorités risquent d’être étouffées (…), partout où elles n’ont
pas leur influence proportionnelle sur la direction des affaires publiques, le
gouvernement n’est au fond qu’un gouvernement de privilège, au profit du plus
grand nombre [1].
Lorsqu’on est gouverné, au niveau canadien,
par le Parti Conservateur du Canada qui a recueilli 40% des voix en 2011 et qui
détient 54% des sièges au Parlement Canadien et, au niveau provincial, par le
Parti libéral du Québec, qui a recueilli 42% des voix en 2008 (après en avoir
récolté 33% une petite année avant) et qui représente 51% des députés de
l’Assemblée Nationale du Québec, il n’est pas étonnant de voir le thème du
« vote stratégique » revenir à chaque campagne électorale.
Au Canada, comme au Québec, le système
électoral en vigueur est celui du scrutin
uninominal majoritaire à un tour. Il est difficile de faire un système plus
simple. Son premier, voire son unique avantage, est économique. Son principal
inconvénient, vous vous en doutez, la représentation
non-proportionnelle des partis par rapport au nombre de votes.
Il en découle plusieurs scénarios selon
les différentes circonscriptions du Québec.
Premier scénario, un individu a le
choix entre voter pour le parti qui a de fortes chances d’être élu, ou de
perdre son vote si le parti est imbattable dans sa circonscription. Un exemple :
le député libéral Jacques Chagnon de la circonscription de
Westmount-Saint-Louis. En poste depuis 1994, avec 75% des voix en 2008. Les 25%
des voix restantes sont donc « perdues ». Dans une telle circonscription,
une connaissance m’a avoué qu’elle voterait pour le PLQ ou la CAQ, deux partis
à l’opposé de ses convictions. Elle donnerait sa voix à celui qui a le moins de
chances de l’emporter entre les deux afin de diminuer la victoire de l’autre.
Ceci est, à mes yeux, un acte qui révèle un grand cynisme à l’égard de la
politique.
Second scénario, deux ou trois
candidats ont des chances de l’emporter dans une circonscription. Le citoyen
doit donc choisir entre voter selon ses convictions, son « cœur », ou
pour celui qui a le plus de chances de faire sortir le candidat non désiré. Ce
choix « stratégique », même s’il est dans certaines circonscriptions,
hautement compréhensible, reflète également un cynisme important.
En effet, voter « pour le moins
pire des candidats » donne raison aux politiciens de continuer à faire de
la politique comme ils le font actuellement : réponses évasives pour être
rassembleur, « langue de bois », miser sur des stratégies de
communications plus que sur des positions claires en faveur d’un tel ou tel
projet de société. Comme le dit Josée Boileau, malgré notre ras-le-bol de cela,
« les politiciens n’entendent pas. Ils
ont leurs repères, leurs conseillers,
et tout le système de représentation électorale qui leur permet de ne pas
sortir du moule »(voir son éditorial du 21 août). D’où le soulagement que
nous a apporté Françoise David au débat des chefs. Tous ont pu reconnaitre sa
prestance et, plus grave, beaucoup ont pu être étonné qu’on puisse faire de la
politique ainsi. Si nous souhaitons que le profil de nos dirigeant change,
arrêtons de voter « pour le moins pire », donc arrêtons de parler de
vote stratégique. En attendant de changer de mode de scrutin.
Concernant le système électoral, nous
parlons très souvent au Québec d’un mode de scrutin proportionnel. 25% des voix
donnent une représentation de 25% à l’Assemblée. Équitable, juste, on peut
voter sereinement en fonction de ses valeurs. Ceci dit, le seul pays qui l’utilise
aux législatives, la Belgique, a connu en 2010-2011 la plus longue crise politique
d’un état démocratique en restant 18 mois sans gouvernement de coalition. On comprend que son
inconvénient majeur de ce scrutin est le morcèlement politique qu’il peut en
advenir, et la difficulté pour un gouvernement de coalition de gérer le pays
(voir d’exister !). C’est en partie pour cela que certains militent pour une
proportionnalité mixte. Une pétition circule d’ailleurs actuellement pour
celle-ci à l’intention de Pauline Marois.
Dès lors, j’aimerais voir apparaitre,
toujours un système proportionnel, le vote unique transférable, établi en
Irlande, à Malte, et en Australie. Il permet de voter pour plusieurs candidats,
en mettant un ordre de préférence entre ceux-là, de manière à voir sa voix être
reporté sur son deuxième choix si notre premier choix n’est pas élu. La page
Wikipédia explique très bien le concept pour plus de détails.
Je finirai mon point sur cela : On
aura bien vu le PQ faire campagne en partie sur ce fameux vote stratégique. La
vidéo « le vote stratégique expliquée par Jean-François Lisée »
l’illustre bien. Intellectuel souverainiste de gauche renommé, et candidat pour
le PQ pour la première fois de son parcours politique, ce dernier désire faire
une « coalition contre le cynisme de Jean Charest [2]».
Bien que je respecte voir admire l’homme en question, je lui répondrais que
ceux qui votent Québec Solidaire ou Option nationale, ce n’est pas juste
« diviser son vote pour se faire plaisir ».
Fabien Torres
[1]BLANC L., « De la représentation
proportionnelle des minorités », in BLANC L., Questions d’Aujourd’hui et de Demain, t. I, Dentu, Paris, 1873, p. 252
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