C'est avec joie que
Café-Jasette s'associe à un nouveau projet : "
Espace Public".
"
Espace Public" se propose, à travers la production d'articles et de débats en baladodiffusions, d'apporter un regard de fond sur l'actualité et s'engage résolument dans le cadre d'une critique des médias.
Ces acteurs et actrices sont animéEs du désir de réfléchir et de jaser face à des médias qui les laissent sur leur faim, voire les frustrent. Ce projet est là pour susciter des réactions et confronter des opinions et des analyses. Il n'attend que vos commentaires et remarques pour s'épanouir et appelle évidemment avec impatience vos contributions.
Pour sa première édition nous vous proposons de revenir, après coup, sur la campagne électorale québécoise et les thèmes abordés par les principaux médias et partis.
Dans un premier texte
Guillaume Tremblay aborde la notion de campagne électorale même. Qu'est-ce qu'une campagne? À qui s'adresse-t-elle?
Mascarade
Vous savez, l'année dernière, on a fêté le cinquantième
anniversaire de l'obtention du droit de vote des femmes et on a aussi fêté le
vingtième anniversaire de l'obtention du droit de vote des Amérindiens.
Maintenant que l'on est dans une démocratie totale, il ne reste plus qu'une
affaire à régler, c'est d'avoir le choix quand on
va voter.
Richard Desjardins, Live au Club Soda
J’en suis déjà à la troisième
itération de ce texte. En fait de son ouverture. Je voulais traiter, à partir
d’un cas que je connais bien, la circonscription de Gouin où j’habite, du
phénomène électoral des poteaux. Non pas les montant verticaux auxquels on
appose les affiches électorales, mais ces candidats qui se présentent dans une
circonscription avec aucune réelle intention de l’emporter. Ces personnes qui
ne sont que l’incarnation officielle d’une présence de leur parti dans une
circonscription donnée, mais qui savent d’emblée qu’ils ne récolteront au mieux
que quelques centaines de voix. Je voulais adopter cet angle pour aborder
certains travers spécifiques de ce qu’on appelle notre démocratie. Creusant, ne
serait-ce que superficiellement, le sujet, j’ai réalisé que c’est toute la
notion de campagne électorale qui m’indisposait.
En
m’interrogeant sur des subtilités, des détails d’une campagne électorale, j’ai
rapidement glissé vers un questionnement plus large : qu’est-ce, au fond,
qu’une campagne électorale ? Et plus précisément, à qui s’adresse une campagne ?
Posons
d’emblée que les personnes politisées, ne serait-ce que minimalement, ces
personnes qui suivent l’actualité, lisent le journal, écoutent les nouvelles,
savent généralement pour qui elles voteront avant même le déclenchement d’une
campagne. Connaissant vaguement ce que proposent les divers partis, ou étant
attachées de longue date à un même parti, la campagne n’a sur elles que bien
peu d’impact si ce n’est celui d’un divertissement à saveur politique.
Conséquemment, on peut postuler que la campagne électorale s’adresse aux
personnes qui, pour toutes sortes de raisons, ne sont pas au fait de la chose
politique. La campagne devient donc le moyen pour elles de s’informer et ainsi
d’orienter leur vote, mais plus encore, la campagne devient pour les partis politiques
le moment idéal pour courtiser l’électorat.
Car une campagne électorale, admettons-le,
n’est pas un exercice de démocratie, c’est plutôt une immense campagne de
marketing politique, un cinq semaines de rhétorique partisane où les
représentants des divers partis ne cherchent pas tant à présenter ce que leur
formation propose et incarne dans son essence, mais cherchent plutôt la formule
qui mettra à mal leurs adversaire et les présentera sous un meilleur jour. Formaté
à l’esprit médias de masse, les plateformes électorales ne sont donc pas
conçues pour informer ou éduquer, mais pour convaincre un électorat. Il ne
s’agit pas de convaincre quant aux idées qu’incarne un parti, mais de
convaincre de voter pour un parti. La nuance est importante. Dans notre système
électoral, où l’on fait passer pour de la démocratie la reddition de notre
pouvoir pour les quatre années suivante, on demande aux électeurs de faire un
choix sur la base de quatre ou cinq thèmes de campagne spécifiquement pensés
dans le but d’obtenir des votes. Ainsi, la campagne qui devrait constituer
l’apogée de l’échange politique citoyen se transforme immanquablement en
mascarade.
La quintessence de
cette mascarade est sans doute atteinte avec les débats des chefs. D’abord,
cette insistance sur les chefs. Manière toute populiste de personnifier les
différents partis, métonymie qui fait du chef ou de la cheffe l’incarnation du
parti et qui fait, par extension, du ou de la gagnante du débat, le parti
vainqueur. Et plus problématique encore, cette notion de vainqueur. Le débat
est une joute rhétorique, ce n’est pas un échange d’idée, ce n’est pas une
discussion, ce n’est en fait même pas un débat, mais un jeu. Il s’agit pour les
personnes qui y participent non pas de défendre des idées, mais de trouver la
bonne formule. Que retiendrons-nous du débat de Radio-Canada, que Jean Charest
devrait se retenir de fanfaronner quant à la corruption ! Sommes-nous plus
avancés ? Je passe par dessus le fait que tous les partis ne sont pas
représentés dans ces débats, moments par excellence de visibilité médiatique et
je vous demande, cherche-t-on vraiment à débattre ? Pour rester dans
l’esprit, disons que cette question était rhétorique.
À l’ère de la politique
spectacle, une campagne électorale semble participer de cette fabrique du
consentement. Douloureux écueil au cœur de la démocratie qui conditionne les
masses à consentir à leur propre domination, la campagne nous aveugle de cette
idée que nous avons un pouvoir citoyen à exercer, un choix à faire. Mais que
savons nous au final de ce choix ?
Guillaume Tremblay