Les femmes et les Patriotes
Lorsqu’on évoque les rébellions patriotes de 1837-1838, on parle des hommes patriotes. Mais qu’en est-il des femmes ? Ont-elles joué un rôle dans les rébellions ? Pourquoi n’en entendons jamais parler ?
Je vous propose ce soir d’aborder le regard que les Patriotes portaient sur les femmes et comment ils concevaient le rapport entre les femmes et la politique. Nous verrons ensuite si elles ont pris part aux rébellions et comment.
Mais avant de commencer, je me propose de faire un bref rappel de ce que sont les Rébellions des Patriotes de 1837-1838.
II) Le regard que les Patriotes portent sur les femmes et leur conception du rapport entre les femmes et la politique
Les femmes ont été beaucoup moins actives lors des rébellions que lors des émeutes du XVIIIe siècle.
Ainsi, en 1775, une femme est à la tête d’un mouvement des paysans de l’île d’Orléans. Au contraire, le mouvement patriote ne peut afficher aucune héroïne.
Cela est dû à la masculinisation de la politique qui a lieu partout en Occident à la même époque. Effectivement, le Patriote du Bas-Canada comme tout républicain de la 1ère moitié du XIXe siècle défend une conception masculine de la citoyenneté en régime démocratique.
À cela s’ajoute l’influence de Rousseau pour qui la femme ne doit pas sortir de son rôle domestique. Ces deux conceptions permettent de comprendre la misogynie contre les femmes qui affichent publiquement leur opposition au mouvement patriote.
De plus, en 1837, la reine Victoria accède au trône. Une messe est donnée à cette occasion dans le Bas-Canada. Celle-ci donne lieu à des affrontements où les patriotes réussissent à interrompre la cérémonie ou encore insultent le sexe de la reine. Il ne s’agit donc pas seulement de s’en prendre à l’autorité britannique.
En effet, tous les milieux républicains de l’époque sont sensibles aux questions de sexe. Les femmes sont exclues de la participation directe à la vie politique. La conception républicaine de la citoyenneté est masculine. Une partie de ces hommes est inspirée par une certaine conception de la Grèce et de la Rome antique où le citoyen doit être prêt à défendre son pays lors d’une guerre. Il s’agit notamment de la conception de Rousseau. Les femmes sont alors associées au fait de s’occuper d’une famille. Cela est perçu comme étant dans leur nature. Les hommes peuvent, dans cette conception, d’avantage se dévouer à la vie politique. Les journaux de l’époque, tel la Minerve se font l’écho de cette thèse.
C’est ainsi qu’en insultant Victoria, les patriotes du Bas-Canada reflètent l’opinion largement répandue dans les cercles républicains à savoir que la femme est respectée tant qu’elle reste dans la sphère domestique. Ce n’est plus le cas quand elle entre dans la sphère publique. La femme n’est pas faite pour s’occuper des affaires publiques et si elle y participe, elle met en danger la vie de son couple. Enfin, s’afficher en public n’est pas le fait d’une honnête femme. Une femme publique, c'est-à-dire qui s’occupe de politique, se rapproche de la prostituée.
Ce qui est nouveau au début du XIXe siècle c’est d’insister sur le rôle domestique des femmes. La situation était moins tranchée dans l’ancien régime.
Il faut noter également que depuis l’Acte constitutionnel de 1791 les femmes propriétaires ont le droit de vote. En 1834, une loi est adoptée pour leur retirer ce droit. Sur cette question tous les partis s’entendent. Pour Papineau l’exercice public du suffrage des femmes est un danger pour l’ordre sexuel dans la sphère domestique.
Les Patriotes vont d’ailleurs confiner les femmes dans ce rôle domestique lors de l’appel au boycott des produits britanniques en 1837. Elles sont appelées à tisser la laine locale pour confectionner des vêtements. Ce message est relayé par les journaux qui font des références incessantes à leur faiblesse ou à leur beauté.
Le mouvement patriote est fondamentalement masculin. Lors des assemblées, les orateurs insistent sur les vertus masculines et s’adressent aux hommes. Il n’est donc pas étonnant que la participation des femmes ne soit pas plus active.
Enfin, il est à noter que lorsque les femmes sont présentes dans les sources historiques c’est parce qu’elles se sont opposées aux rébellions. Sinon on ne les mentionne pas.
Le mouvement patriote peut donc être considéré comme le fer de lance de l’exclusion des femmes de la sphère politique au Bas-Canada au XIXe siècle puisque les années qui suivent insistent encore davantage sur cette exclusion.
III) Le rôle des femmes patriotes
Les années 1830 sont caractérisées par des difficultés économiques dans les villes et les campagnes. De 1836 à 1840, taux de nuptialité est au plus bas depuis 1711. Il en est de même pour les naissances. Ainsi, à l’époque des Rébellions, la grande majorité des femmes connaissent des difficultés économiques.
Les rares femmes qui ont laissé des témoignages sont quelques femmes fortunées qui ont accès à l’écriture. Pourtant les femmes sont exclues de la vie politique. Mais certaines donnent tout de même leur opinion sur Rébellions de 1837 et 1838.
Cordelia Lovell écrit que pour elle, il n’est pas possible de se désintéresser des évènements qui se produisent, les affaires de la politique occupant tout le monde et étant le sujet de toutes les conversations. Julie Bruneau écrit à son époux, Louis-Joseph Papineau, le chef du parti patriote « si l’état de Montréal n’est pas changé, si on ne peut rien obtenir il faudra inévitablement l’avoir par la violence ». Alors que la révolte apparait imminente, Julie Bruneau regarde avec inquiétude ses compatriotes. Elle s’inquiète de leur faiblesse et de leur manque de détermination politique. Elle pense que le Haut-Canada réussira à obtenir les réformes souhaitées mais que l’Angleterre continuera à opprimer le Bas-Canada car, écrit-elle, « nous les aidons à river nos chaînes ». Ces quelques femmes donnent leur opinion. Pourtant l’organisation politique patriarcale de l’époque exclut les femmes de la milice et de l’action politique directe. Femmes à la périphérie de l’action. Elles assistent aux assemblées populaires. En 1837, le secrétaire du comité central permanent des patriotes fait connaitre aux membres la fondation de l’Association des dames patriotes du comté des Deux-Montagnes pour « concourir, autant que la faiblesse de leur sexe peut le permettre, à faire réussir la cause patriotique ». C’est dans la maison de Mme Girouard, à la tête de cette association qu’ont lieu les assemblées politiques du Comté des Deux-Montagnes. Sur sa maison est placé un drapeau où figurent les mots « conseil législatif » encadrés de trois têtes de mort. Les Patriotes s’y réunissent aussi pour organiser militairement le comté des Deux-Montagnes.
Lors du boycott des produits britanniques, étoffe grise tissée par les canadiennes. À Montréal, Mme Lafontaine et Peltier auraient porté publiquement les étoffes canadiennes. À St-Antoine, St-Denis, St-Charles, au comté des Deux-Montagnes, les femmes tiennent des assemblées dans lesquelles elles promettent de repousser les ennemis de leur pays et de donner la préférence à leurs prétendants qui n’ont pas honte de porter les tissus qu’elles filent elles-mêmes. C’est ainsi, à l’automne 1837 dans la région de Richelieu est repéré un fanion sur lequel il est écrit « honneur aux dames patriotes ». Autre moyen d’action : Une paroissienne de Saint-Benoît compose des chansons satiriques contre le curé loyaliste.
Ces actions sont périphériques mais personne ne s’attend à voir les femmes s’engager directement dans le conflit.
Hortense Globensky fait figure d’exception historique. Habitante du comté des Deux-Montagnes, elle participe activement à la campagne électorale de son frère député du parti dit « bureaucrate », opposé aux Patriotes. Elle exhorte les paroissiens à rester fidèles au gouvernement. Des patriotes voulant la faire taire, elle les menace avec un pistolet. Ceux-ci la font arrêter pour port d’arme illégal et la conduisent à la prison de Montréal. Plus tard elle doit défendre seule sa maison. Suite à la bravoure qu’elle manifeste à cette occasion, des conservateurs lui offrent une théière sur laquelle on peut lire « en témoignage de l’héroïsme au-delà de son sexe déployé dans la soirée du 6 juillet 1837 ». Les Patriotes rapportent les cas de femmes qui vont « au-delà de leur sexe ». Autre opposante redoutable aux patriotes, Rosalie Cherrier de Saint-Denis, cousine de Papineau. Elle est déviante dans sa vie domestique car elle a quitté son mari et vit avec un jeune homme. Elle est également déviante dans ses convictions politiques. Elle rédige des chroniques dans un journal local. Rosalie n’hésite pas à exprimer ses opinions sur la place publique. Quand la foule vient la menacer chez elle, elle les attend avec un fusil. Elle réussit à faire fuir la foule mais doit malgré tout s’enfuir. Elle a été jugée pour être une épouse anticonformiste et comme adversaire partisane. Contrairement à Hortense Globensky elle n’est pas remerciée par les conservateurs à cause de son absence de vertus féminines.
D’autres se sont armées pour défendre la cause patriote, comme Émilie Boileau-Kimber de Chambly qui tient des assemblées patriotes dans sa demeure et ne craint pas de porter les armes.
De même, les dames Masson et Dumouchel ont conçu et exécuté le drapeau des Deux-Montagnes, qui est le premier drapeau canadien-français. En préparation de la bataille de Saint-Denis sur Richelieu du 14 décembre 1837, les demoiselles Labrie et Berthelot font fondre des balles. Émélie Berthelot raconte que le 14 décembre 1837, elle fait relâcher son père que des volontaires loyalistes ont obligé à venir avec eux. Cet épisode a lieu dans les rangs du Lac, du Grand-Brûlé et du Domaine, où les femmes sont emmenées à défendre les leurs. C’est ainsi qu’une femme met le feu à sa demeure devant l’arrivée des soldats britanniques. Ces femmes sont des exceptions. Pour la plupart, la participation à la révolte a lieu en restant dans la vie civile : fonte des balles, fabrique des cartouches, dessin et tissage des drapeaux tricolores des Patriotes, soin et cachette des Patriotes et des membres de leur famille, au risque de voir leur maison incendiée.
Lors des batailles, les femmes sont laissées seules avec les enfants et les vieillards devant les troupes qui pillent et incendient les maisons des Patriotes et des villages comme St-Denis, St-Benoît, St-Eustache.
Les jeunes femmes se réfugient où elles peuvent pour échapper aux brutalités des loyaux et des soldats. Les femmes de patriotes sont laissées devant la porte de leurs maisons incendiées et les soldats interdisent aux habitants de leur donner le gîte. Certains bravent l’interdit et recueillent ces femmes malgré tout. Mais certaines tombent malades et meurent des suites de leur exposition dans le froid.
Dans l’autre camp, les femmes et des enfants de loyaux sont aussi victimes des Patriotes, certains sont faits prisonniers. Jane Eillis, seigneuresse de Beauharnois, raconte dans son journal sa libération par les Britanniques du presbytère de Beauharnois, une semaine après le début de sa captivité. Ainsi, les femmes n’ont pas à vivre les souffrances du front et de l’engagement militaire mais la répression les frappe dans leur vie quotidienne. Des centaines de foyers sont incendiés. Ces femmes perdent tout. Les autorités britanniques châtient les populations civiles. Même Jane Ellis souligne dans son journal la dureté de la répression en notant que les femmes s’échappent comme elles peuvent des villages.
Des familles de Patriotes se retrouvent sur les routes. L’épouse du cultivateur Julien Gagnon doit s’exiler aux États-Unis. D’autres suivent le même chemin. Tous sont dans le plus profond dénuement, certains arrivent pieds nus. Mais il existe malgré tout une certaine entraide entre ces personnes. Le notaire Girouard de Saint-Benoît écrit d’ailleurs : « dans ces temps malheureux les femmes seules se montrèrent au-dessus des circonstances et soutinrent un courage que le sombre despotisme voulait entièrement abattre ». Ainsi, les femmes de Saint-Denis vont soigner les blessés anglais suite à la première bataille. Ceux-ci sont hébergés chez les demoiselles Darnicourt. Lorsque l’armée revient dans le village pour la seconde bataille de Saint-Denis, seule la maison de ces demoiselles est épargnée.
Malgré tout l’entraide ne suffit pas, les femmes s’adressent alors à Sir John Colborne, le gouverneur du Bas-Canada, pour expliquer la misère économique dans laquelle les plonge la mort ou l’incarcération de leur mari. Sophie Mailloux expose qu’elle et sa famille se trouvent réduits à la plus affreuse misère par le manque de nourriture, se trouvant même dans l’impossibilité de se procurer le bois de chauffage nécessaire. Josette Leboeuf a vu sa maison brûlée avec les biens qu’elle contenait, une fois son mari fait prisonnier. Elle s’est alors retrouvée sur la route, manquant de tout et surtout de nourriture, avec ses enfants et des orphelins que le couple avait adoptés. La veuve Mary Gillecey, demande qu’on lui transfère le permis d’hôtelier de son mari afin de continuer à faire vivre ses enfants. Rosalie Dessaules, seigneuresse de Saint-Hyacinthe, explique que le pillage a été très important, que le bétail a été emporté et donc que la population manque de tout dans les campagnes. Puis, après la lutte dans les champs de bataille, dans les villages, commence celle devant la cour martiale.
Madame Papin de Lachine et sa fille sont parmi les premières femmes à porter secours aux prisonniers à la prison de la Pointe-à-Callières, un entrepôt transformé en prison. Elles apportent de la nourriture. La plus connue des visiteuses est Émilie Gamelin qui devient plus tard Mère Émilie Gamelin et fonde les Sœurs de la Providence. Elle a convaincu les autorités de la Prison au Pied du Courant de lui laisser apporter de la nourriture, des vêtements et des couvertures aux prisonniers. Peu de visites de parents ont été accordées. Elle est alors devenue la messagère et a transmis des lettres aux familles et aux Patriotes. L’isolation des prisonniers a pu être brisée de cette façon. Elle est venue presque tous les jours et a permis parfois à la fille d’un Patriote ou à une de leurs parentes de l’accompagner. On l’a surnommée l’ange des prisonniers. Elle est souvent accompagnée de Madame Gauvin, la mère du docteur Gauvin, patriote et des filles de celle-ci.
Les rébellions génèrent de l’angoisse à cause des ruptures dans les familles. En plus des morts au combat, des centaines de prisonniers, la défaite se solde par 99 condamnés à mort dont 12 exécutés, 58 déportés en Australie, 2 bannis. 44 de ces patriotes condamnés ont des enfants. Madame Duquette, la mère de Joseph Duquette va jusqu’à Québec supplier le gouverneur d’épargner son fils. Eugénie Saint-Germain, épouse de Joseph-Narcisse Cardinal, député de la Prairie condamné à mort, intercède auprès de Lady Colborne pour le faire gracier, faisant appel au fait qu’elle est elle-même mère et épouse. Le lendemain, cette femme enceinte de son 5e enfant est veuve. De même, Henriette Cadieux, épouse du notaire Chevalier de Lorimier, intercède auprès de Colborne, rappelant qu’elle n’a pour faire vivre ses trois enfants que la profession de leur père. Elle non plus n’est pas écoutée.
Au cours des procès des prisonniers, les femmes sont appelées à témoigner. Souvent elles affirment que le prisonnier qu’elles tentent de blanchir a été forcé de suivre les rebelles. Les autres fournissent un alibi au prisonnier. Josephte Merleau et Catherine Roy, pour disculper Josepht Roy affirment que le drapeau patriote trouvé chez lui a tout simplement été tissé par elles parce qu’elles trouvaient cela joli. D’autres encore témoignent contre des prisonniers parce que ceux-ci les auraient obligées à cuisiner pour eux ou encore à fabriquer des cartouches. Marie-Desanges Brunette dépose contre son mari, le patriote Jean-Baptiste Lague car il la bât, l’accusant d’être une bureaucrate. Elle dénonce alors ses activités révolutionnaires clandestines auprès des autorités.
D’autres encore sont très patriotes. Euphrosine Lamontagne-Perrault, a eu lors des Rébellions un fils tué et un autre exilé, elle affirme pourtant qu’ils ont eu raison de suivre cette cause.
Conclusion
Lors des évènements de 1837-1838, les femmes ont été exclues de la vie politique et publique. Au siècle précédent les femmes avaient eu un rôle politique actif lors des pénuries de pain. Mais au XIXe siècle, la conception de la femme comme un être domestique s’impose et leur permet seulement d’aider les hommes qui monopolisent la sphère publique. C’est le monde politique des hommes qui fut troublé et qui a pris les armes. Mais la répression s’est exercée partout, notamment dans la sphère privée, la vie domestique, sur les femmes.
Étant donné la conception de la femme, celle-ci a du lutter avec des moyens différents de ceux des hommes. Le fait qu’on ait peu parlé d’elle est symptomatique d’une conception de l’histoire basée sur les quelques hommes détenant le pouvoir. Les femmes avaient donc comme seul champ d’action celui d’agir en fonction de leurs intérêts, de leurs préoccupations personnelles et familiales puisque la logique qui prévaut au XIXe siècle est celle de l’exclusion des femmes de la politique. D’ailleurs en 1834 les Patriotes ont voulu leur retirer le droit de vote et n’attendent donc pas que les femmes aillent « au-delà de leur sexe ». En témoigne une lettre que Louis-Joseph écrit à sa femme en 1830 : « Je reçois ce matin ta bonne et aimable lettre. Quoiqu’elle respire un peu trop d’esprit d’indépendance contre l’autorité légitime et absolue de ton mari, je n’en suis pas aussi surpris qu’affligé. Je vois que cette funeste philosophie gâte toutes les têtes et le contrat social de Rousseau te fait oublier l’Évangile de St-Paul. « Femmes soyez soumises à vos maris ».
Émilie Tanniou
Bibliographie
-Marcelle Reeves-Morache, « La Canadienne pendant les troubles de 1837-1838 », Revue d'histoire de l'Amérique française, vol. 5, n° 1, 1951, p. 99-117
-Allan Greer, « La république des hommes : les Patriotes de 1837 face aux femmes », Revue d'histoire de l'Amérique française, vol. 44, n° 4, 1991, p. 507-528.
-Le collectif Clio, L’histoire des femmes au Québec depuis quatre siècles, 1992