Café-Jasette

jeudi 13 septembre 2012

Le cynisme d’un vote stratégique

Espace Public continue à s'intéresser à  la campagne électorale québécoise et aux thèmes abordés par les principaux médias et partis.

Nous vous proposons aujourd'hui un texte de Fabien Torres sur la notion du vote stratégique. Peut-on ainsi échapper à ce calcul dans le système électoral québécois?

Le cynisme d’un vote stratégique

 Là où il n’y a pas égalité de représentation, on peut poser hardiment en fait qu’il n’y a pas de démocratie. L’essence de la démocratie, c’est l’égalité; et partout où les minorités risquent d’être étouffées (…), partout où elles n’ont pas leur influence proportionnelle sur la direction des affaires publiques, le gouvernement n’est au fond qu’un gouvernement de privilège, au profit du plus grand nombre [1].

Lorsqu’on est gouverné, au niveau canadien, par le Parti Conservateur du Canada qui a recueilli 40% des voix en 2011 et qui détient 54% des sièges au Parlement Canadien et, au niveau provincial, par le Parti libéral du Québec, qui a recueilli 42% des voix en 2008 (après en avoir récolté 33% une petite année avant) et qui représente 51% des députés de l’Assemblée Nationale du Québec, il n’est pas étonnant de voir le thème du « vote stratégique » revenir à chaque campagne électorale.

Au Canada, comme au Québec, le système électoral  en vigueur est celui du scrutin uninominal majoritaire à un tour. Il est difficile de faire un système plus simple. Son premier, voire son unique avantage, est économique. Son principal inconvénient, vous vous en doutez, la représentation non-proportionnelle des partis par rapport au nombre de votes.
Il en découle plusieurs scénarios selon les différentes circonscriptions du Québec.

Premier scénario, un individu a le choix entre voter pour le parti qui a de fortes chances d’être élu, ou de perdre son vote si le parti est imbattable dans sa circonscription. Un exemple : le député libéral Jacques Chagnon de la circonscription de Westmount-Saint-Louis. En poste depuis 1994, avec 75% des voix en 2008. Les 25% des voix restantes sont donc « perdues ». Dans une telle circonscription, une connaissance m’a avoué qu’elle voterait pour le PLQ ou la CAQ, deux partis à l’opposé de ses convictions. Elle donnerait sa voix à celui qui a le moins de chances de l’emporter entre les deux afin de diminuer la victoire de l’autre. Ceci est, à mes yeux, un acte qui révèle un grand cynisme à l’égard de la politique.

Second scénario, deux ou trois candidats ont des chances de l’emporter dans une circonscription. Le citoyen doit donc choisir entre voter selon ses convictions, son « cœur », ou pour celui qui a le plus de chances de faire sortir le candidat non désiré. Ce choix « stratégique », même s’il est dans certaines circonscriptions, hautement compréhensible, reflète également un cynisme important.

En effet, voter « pour le moins pire des candidats » donne raison aux politiciens de continuer à faire de la politique comme ils le font actuellement : réponses évasives pour être rassembleur, « langue de bois », miser sur des stratégies de communications plus que sur des positions claires en faveur d’un tel ou tel projet de société. Comme le dit Josée Boileau, malgré notre ras-le-bol de cela, « les politiciens n’entendent pas. Ils
ont leurs repères, leurs conseillers, et tout le système de représentation électorale qui leur permet de ne pas sortir du moule »(voir son éditorial du 21 août). D’où le soulagement que nous a apporté Françoise David au débat des chefs. Tous ont pu reconnaitre sa prestance et, plus grave, beaucoup ont pu être étonné qu’on puisse faire de la politique ainsi. Si nous souhaitons que le profil de nos dirigeant change, arrêtons de voter « pour le moins pire », donc arrêtons de parler de vote stratégique. En attendant de changer de mode de scrutin.

Concernant le système électoral, nous parlons très souvent au Québec d’un mode de scrutin proportionnel. 25% des voix donnent une représentation de 25% à l’Assemblée. Équitable, juste, on peut voter sereinement en fonction de ses valeurs. Ceci dit, le seul pays qui l’utilise aux législatives, la Belgique, a connu en 2010-2011 la plus longue crise politique d’un état démocratique en restant 18 mois sans gouvernement  de coalition. On comprend que son inconvénient majeur de ce scrutin est le morcèlement politique qu’il peut en advenir, et la difficulté pour un gouvernement de coalition de gérer le pays (voir d’exister !). C’est en partie pour cela que certains militent pour une proportionnalité mixte. Une pétition circule d’ailleurs actuellement pour celle-ci à l’intention de Pauline Marois.
Dès lors, j’aimerais voir apparaitre, toujours un système proportionnel, le vote unique transférable, établi en Irlande, à Malte, et en Australie. Il permet de voter pour plusieurs candidats, en mettant un ordre de préférence entre ceux-là, de manière à voir sa voix être reporté sur son deuxième choix si notre premier choix n’est pas élu. La page Wikipédia explique très bien le concept pour plus de détails.

Je finirai mon point sur cela : On aura bien vu le PQ faire campagne en partie sur ce fameux vote stratégique. La vidéo «  le vote stratégique expliquée par Jean-François Lisée » l’illustre bien. Intellectuel souverainiste de gauche renommé, et candidat pour le PQ pour la première fois de son parcours politique, ce dernier désire faire une « coalition contre le cynisme de Jean Charest [2]». Bien que je respecte voir admire l’homme en question, je lui répondrais que ceux qui votent Québec Solidaire ou Option nationale, ce n’est pas juste « diviser son vote pour se faire plaisir ».

Fabien Torres



[1]BLANC L., « De la représentation proportionnelle des minorités », in BLANC L., Questions d’Aujourd’hui et de Demain, t. I, Dentu,  Paris, 1873, p. 252


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