Café-Jasette

mercredi 12 septembre 2012

Espace-Public

C'est avec joie que Café-Jasette s'associe à un nouveau projet : "Espace Public".

"Espace Public" se propose, à travers la production d'articles et de débats en baladodiffusions, d'apporter un regard de fond sur l'actualité et s'engage résolument dans le cadre d'une critique des médias.
Ces acteurs et actrices sont animéEs du désir de réfléchir et de jaser face à des médias qui les laissent sur leur faim, voire les frustrent. Ce projet est là pour susciter des réactions et confronter des opinions et des analyses. Il n'attend que vos commentaires et remarques pour s'épanouir et appelle évidemment avec impatience vos contributions.

Pour sa première édition nous vous proposons de revenir, après coup, sur la campagne électorale québécoise et les thèmes abordés par les principaux médias et partis.

Dans un premier texte Guillaume Tremblay aborde la notion de campagne électorale même. Qu'est-ce qu'une campagne? À qui s'adresse-t-elle?


Mascarade

Vous savez, l'année dernière, on a fêté le cinquantième anniversaire de l'obtention du droit de vote des femmes et on a aussi fêté le vingtième anniversaire de l'obtention du droit de vote des Amérindiens. Maintenant que l'on est dans une démocratie totale, il ne reste plus qu'une affaire à régler, c'est d'avoir le choix quand on va voter.

Richard Desjardins, Live au Club Soda

J’en suis déjà à la troisième itération de ce texte. En fait de son ouverture. Je voulais traiter, à partir d’un cas que je connais bien, la circonscription de Gouin où j’habite, du phénomène électoral des poteaux. Non pas les montant verticaux auxquels on appose les affiches électorales, mais ces candidats qui se présentent dans une circonscription avec aucune réelle intention de l’emporter. Ces personnes qui ne sont que l’incarnation officielle d’une présence de leur parti dans une circonscription donnée, mais qui savent d’emblée qu’ils ne récolteront au mieux que quelques centaines de voix. Je voulais adopter cet angle pour aborder certains travers spécifiques de ce qu’on appelle notre démocratie. Creusant, ne serait-ce que superficiellement, le sujet, j’ai réalisé que c’est toute la notion de campagne électorale qui m’indisposait.
            En m’interrogeant sur des subtilités, des détails d’une campagne électorale, j’ai rapidement glissé vers un questionnement plus large : qu’est-ce, au fond, qu’une campagne électorale ? Et plus précisément, à qui s’adresse une campagne ?
            Posons d’emblée que les personnes politisées, ne serait-ce que minimalement, ces personnes qui suivent l’actualité, lisent le journal, écoutent les nouvelles, savent généralement pour qui elles voteront avant même le déclenchement d’une campagne. Connaissant vaguement ce que proposent les divers partis, ou étant attachées de longue date à un même parti, la campagne n’a sur elles que bien peu d’impact si ce n’est celui d’un divertissement à saveur politique.[1] Conséquemment, on peut postuler que la campagne électorale s’adresse aux personnes qui, pour toutes sortes de raisons, ne sont pas au fait de la chose politique. La campagne devient donc le moyen pour elles de s’informer et ainsi d’orienter leur vote, mais plus encore, la campagne devient pour les partis politiques le moment idéal pour courtiser l’électorat.
                Car une campagne électorale, admettons-le, n’est pas un exercice de démocratie, c’est plutôt une immense campagne de marketing politique, un cinq semaines de rhétorique partisane où les représentants des divers partis ne cherchent pas tant à présenter ce que leur formation propose et incarne dans son essence, mais cherchent plutôt la formule qui mettra à mal leurs adversaire et les présentera sous un meilleur jour. Formaté à l’esprit médias de masse, les plateformes électorales ne sont donc pas conçues pour informer ou éduquer, mais pour convaincre un électorat. Il ne s’agit pas de convaincre quant aux idées qu’incarne un parti, mais de convaincre de voter pour un parti. La nuance est importante. Dans notre système électoral, où l’on fait passer pour de la démocratie la reddition de notre pouvoir pour les quatre années suivante, on demande aux électeurs de faire un choix sur la base de quatre ou cinq thèmes de campagne spécifiquement pensés dans le but d’obtenir des votes. Ainsi, la campagne qui devrait constituer l’apogée de l’échange politique citoyen se transforme immanquablement en mascarade.
La quintessence de cette mascarade est sans doute atteinte avec les débats des chefs. D’abord, cette insistance sur les chefs. Manière toute populiste de personnifier les différents partis, métonymie qui fait du chef ou de la cheffe l’incarnation du parti et qui fait, par extension, du ou de la gagnante du débat, le parti vainqueur. Et plus problématique encore, cette notion de vainqueur. Le débat est une joute rhétorique, ce n’est pas un échange d’idée, ce n’est pas une discussion, ce n’est en fait même pas un débat, mais un jeu. Il s’agit pour les personnes qui y participent non pas de défendre des idées, mais de trouver la bonne formule. Que retiendrons-nous du débat de Radio-Canada, que Jean Charest devrait se retenir de fanfaronner quant à la corruption ! Sommes-nous plus avancés ? Je passe par dessus le fait que tous les partis ne sont pas représentés dans ces débats, moments par excellence de visibilité médiatique et je vous demande, cherche-t-on vraiment à débattre ? Pour rester dans l’esprit, disons que cette question était rhétorique.

À l’ère de la politique spectacle, une campagne électorale semble participer de cette fabrique du consentement. Douloureux écueil au cœur de la démocratie qui conditionne les masses à consentir à leur propre domination, la campagne nous aveugle de cette idée que nous avons un pouvoir citoyen à exercer, un choix à faire. Mais que savons nous au final de ce choix ?

Guillaume Tremblay



[1] Il arrive que ces personnes au fait de la chose politique prennent leur décision lors de la campagne, mais cela me semble rarement imputable à la campagne elle-même, plutôt à l’imminence du vote qui force au choix.



1 commentaire:

  1. Je m'arrête un instant sur la prémisse de cet article, qui est à mon avis erronée, soit que le but de la campagne est d'informer des électeurs qui ne suivent pas la politique régulièrement. Je cite :

    "Connaissant vaguement ce que proposent les divers partis, ou étant attachées de longue date à un même parti, la campagne n’a sur elles que bien peu d’impact si ce n’est celui d’un divertissement à saveur politique. Conséquemment, on peut postuler que la campagne électorale s’adresse aux personnes qui, pour toutes sortes de raisons, ne sont pas au fait de la chose politique. La campagne devient donc le moyen pour elles de s’informer et ainsi d’orienter leur vote [...]"

    Je remet en question le lien postulé entre fermeté de l'allégeance politique et intérêt pour les affaires publiques. Je mettrais ma main au feu que les électeurs dont le choix est bien arrêté avant même que ne débute la campagne ne sont pas plus informés/politisés que les autres, et je me risquerais même à dire qu'ils le sont peut-être moins [je pense ici au tiers des québécois qui ont voté PLQ ]. Tout ça serait évidemment à vérifier, mais il me semble que la recherche d'information et l'intérêt pour la chose politique nourrit la réflexion et le doute plus qu'autre chose.

    Et donc, pour en revenir à la prémisse de ce texte, je dirais que la campagne ne cherche pas à informer les électeurs qui ne s'intéressent pas à la politique en temps de paix, mais plutôt à faire basculer dans un camp ou dans l'autre, à l'aide de toute sorte de procédés pas très reluisants et bien évoqués dans ce texte, ceux qui s'y oscillent encore.

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